mercredi 11 janvier 2017

Pierre Rode : biographie

PIERRE RODE
1774 - 1830

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Pour présenter le personnage de Pierre Rode, virtuose du violon et parmi les premiers professeurs du Conservatoire de Musique créé par l’Empereur Napoléon, je retiendrai cinq grands moments de sa vie. Le jeune enfant prodige d’abord, le virtuose du violon, nommé premier violon de la musique du Premier Consul puis professeur au Conservatoire, mais surtout le jeune premier rival de l’Empereur, et enfin le Compositeur qui devait finir ses jours comme bon père de famille.

1/ L'enfant prodige:

Pierre Rode est né à Bordeaux, le 16 Février 1774. 

21 rue du Loup - Bordeaux
On a peu de renseignements sur ses premières années. Arthur Pougin auteur d’une notice biographique, parue en 1874, cite une lettre d’une personne de Bordeaux qui habitait dans le voisinage de la rue du Loup où était situé le magasin de parfumerie du père de Rode, au numéro 21, qui écrit que, toutes les fois qu’elle passait dans cette rue, elle voyait le jeune Rode occupé à jouer du violon. Et elle ajoute : " ce fait au surplus, est de notoriété publique à Bordeaux ". 



Ce qui est sûr c’est que Pierre Rode dès l’âge de 8 ans était élève de Fauvel l’aîné. Les progrès de l’enfant furent si rapides, qu’à peine âgé de douze ans il fut en état de jouer des concertos en public, et qu’il étonna tous les artistes amateurs de Bordeaux.
Il est en effet mentionné pour la première fois dans le programme d’une séance publique la 14 juillet 1785, où il étonna tous les artistes et amateurs de Bordeaux nous disent les auteurs de l’ouvrage «  le Musée de Bordeaux et la Musique » paru en 2005.
Billet d'entrée d'un concert au Musée de Bordeaux 
L'enfant-prodige est alors âgé de 11 ans . On peut imaginer que Fauvel avait présenté son brillant élève devant le Comité de Musique qui auditionnait les musiciens de la ville avant de les programmer aux séances publiques. L’enseignement musical est un aspect que nous ne développerons pas ici. Il est intéressant de noter que Fauvel, lui-même né à Bordeaux en 1756,  avait été l’élève de Gervais, «  dans un voyage que celui-ci fit à Bordeaux ». Fauvel appartient à cette catégorie de professionnels engagés comme renfort dans l'orchestre du Musée. La transmission des pratiques du concert au travers d’une relation pédagogique est réelle. Elle se concrétise tout d’abord au sein du Musée et sur les planches du théâtre où le maître et l’élève exécutent ensemble des symphonies concertantes (séance publique du 14 juillet 1787 et concert spirituel du 25 décembre 1785). 
L’enfant prodige des séances publiques du 14 et 18 juillet 1785, apparaît aux côtés de quelques virtuoses bordelais dans un concert spirituel au Grand Théâtre de Bordeaux  (25 décembre 1785) et se distingue dans un concert organisé par le Musée au profit d’une famille indigente (21 avril 1786). Il joue dans une nouvelle séance le 25 août 1786 et dans un autre concert le 10 février 1787. 
Avant de rejoindre la capitale, aucun concert public à son bénéfice n’a été organisé par le Musée malgré ses nombreuses participations aux séances publiques. Rode n’est alors ni professionnel ni véritable  amateur ; c’est une enfant talentueux qui doit encore faire ses preuves, du même âge que la très jeune harpiste Caroline Descarsin, venue à Bordeaux au printemps de 1787 pour une série de neuf concerts en compagnie de sa petite sœur Sophie et de son père.
En 1787  Fauvel se rendit à Paris avec Rode, pour lancer la carrière de son disciple. 
Ne doutant pas du talent du jeune Rode qu’il a entendu au Musée en 1786, Punto le présente à Viotti qui devient son nouveau professeur, nonobstant le chagrin que Fauvel en eut. 
Viotti, est alors directeur du théâtre de Monsieur (théâtre Feydeau) et il est le musicien le plus célèbre de l’époque. Ce théâtre se trouvait au numéro 21 de l’actuelle rue Feydeau. Il venait d’être construit en 1790 pour une troupe d’Italiens venus à Paris sous les auspices du Comte de Provence, d’où son nom de Théâtre de Monsieur ou Théâtre des Italiens et aussi le nom du boulevard du même nom. La salle avait une contenance de 2200 places. Elle s’élevait en partie sur la rue de la Bourse actuelle. Le dictionnaire historique des musiciens, publié en 1811 précise : " On sait que Viotti ne donnait jamais de soins intéressés, qu’il prenait en amitié les jeunes gens en qui il reconnaissait de grandes dispositions, et qu’il s’est plu à en former plusieurs. Rode a peut-être été le mieux partagé. "


Le théâtre de Monsieur en 1790
En 1790, entre deux actes d’un opéra italien, il fit entendre son élève favori, dans l’un de ses concertos. Rode a 16 ans. Il ne faut pas oublier ce que peut représenter un théâtre à l’époque où se situe ce concert, dans le contexte de la Révolution, et l’impact que pouvait avoir un jeune prodige sur un public disons " échauffé ". Ces concerts avaient lieu, selon une tradition de l’ancien régime, pendant la Semaine Sainte, tandis que tous les autres spectacles devaient obligatoirement faire relâche. On les appelait les Concerts Spirituels. C’est dans ces mêmes concerts en 1792 qu’aux côtés de Baillot et de Kreutzer qu’il avait rencontrés à l’orchestre du théâtre de Monsieur, que Rode obtint ses plus grands succès. Ceci est confirmé dans la chronique de la Révolution publiée chez Larousse. Le 1er Avril 1792, Pierre Rode qui a 18 ans crée le concerto en mi mineur de Gian Battista Viotti, au concert du théâtre de la rue Feydeau, et obtient un triomphe. Le Journal de Paris donne le programme de ces concerts. Rode exécute notamment des concertos de Viotti soit avec Alday ou Kreutzer comme duettistes, soit seul comme c’est le cas pour le concerto en ré mineur de Viotti. Fétis, dans sa Biographie Universelle des Musiciens dit : " Rode exécuta, pendant les concerts de la semaine sainte, les 3e, 13e, 17e et 18e concertos de Viotti. La beauté de cette dernière composition fut vivement sentie. L’exécutant et l’auteur eurent une part égale au triomphe que le public décerna, en manifestant le désir de l’entendre dans trois concerts consécutifs ». Baillot écrit également dans sa notice sur Viotti : " C’est à son 17e, en ré mineur, et à son 18e, en mi mineur, qu’il adopta cette forme dramatique, dont l’effet inattendu fut si imposant, lorsque Rode, son élève et son digne interprète, fit entendre ces deux concertos, avec tout le charme et toute la pureté qui distinguent son talent. " C’est Rode enfant-prodige
Après sa première expérience parisienne et son passage très remarqué au Concert Spirituel du 5 avril 1790, ( Histoire du Concert Spirituel de Pierre Constant 1725 – 1790  Paris : Société Française de Musicologie, page 344 programme n° 1276) le Musée s’enorgueillit de programmer le désormais célèbre « élève de Viotti » et lui accorde la salle de l’Intendance pour qu’il donne un concert à son bénéfice le 19 août 1790. Le parcours de Pierre Rode est celui de l’enfant prodige qui accède à une reconnaissance locale après avoir conquis la scène parisienne. 

2/ Le Virtuose:

Voilà notre jeune enfant prodige au début d’une carrière de virtuose. Le style de Rode, sa façon de jouer, devait lui valoir le surnom de " Corrège du violon ".Vous savez que Le Corrège se caractérise par un art voluptueux. On parle à son sujet d’une exquise suavité, et on dit qu’une sensualité non dissimulée émane de ses tableaux. Voilà sans doute les caractéristiques du style de Pierre Rode. Nous sommes en 92. Les événements se précipitent. Le 30 Avril 92, à Strasbourg, Rouget de L’Isle donne son Chant de guerre pour l’armée du Rhin dans les salons du maire de la ville, l’assemblée vote le décret contre les prêtres réfractaires ; 92 c’est l’invasion des Tuileries le 20 juin et l’émeute ; puis il y a le 10 Août, la déclaration de la Patrie en danger, Valmy ; on pressent les événements de 93 et la Terreur. L’armée manque de soldats ; la guerre de Vendée fait rage. Rode ne peut pas rester inactif sans risquer de devenir suspect. Il prend alors le parti, non des armes, mais de la clarinette et de l’uniforme de musicien militaire pour suivre le corps d’armée à Angers.



Pierre Rode en uniforme de Fifre du Corps des Armées de l'Ouest
 Cependant des amis estimant que son talent était plus fait pour les salons que pour les camps, n’épargnèrent rien pour le dégager ; ils y réussirent, et afin de le soustraire à des recherches, ils le firent partir de Paris. Il partit avec Garat pour Rouen, puis il entreprit un long périple en Europe, toujours avec Garat.
De ce long séjour à Rouen, (1793-1794) on apprend, grâce à l’ouvrage déjà cité « Le Musée de Bordeaux et la musique », quelques détails sur le répertoire joué par Rode ainsi que celui de Punto et celui de Garat qui s’étaient tous trois réfugiés dans la ville. Punto exécute des concertos de sa composition, Garat des œuvres dramatiques avec parfois des compositions personnelles surtout des romances, mais celles-ci trop intimes pour occuper tout un concert et accompagnées la plupart du temps par le violon de Rode. Garat incarcéré en raison de ses  liens avec l’aristocratie ( son Père et son Oncle sont des personnages publics) compose la musique et les paroles de La Complainte du Troubadour qui devient une œuvre emblématique pour les rescapés de la Terreur. La Complainte est une composition marquée par les circonstances à cause de la présence d’un violon obligé que jouait Rode pendant ce séjour comment à Rouen, où nous savons qu’ils donnent 14 concerts en 1793 .
Le répertoire de Rode est composé principalement des concertos de Viotti, qu’il reprendra jusqu’à son retour au théâtre Feydeau le 18 octobre 1794. Ces concertos sont aux violonistes professionnels ce que sont les symphonies de Haydn aux orchestres du Concert Spirituel et des Sociétés Parisiennes : une référence artistique et pédagogique. Il n’est pas encore question des concertos pour violon de Rodolphe Kreutzer que Rode ne jouera d’ailleurs jamais, du moins pas en public, ni de ceux de Rode lui-même qui attend son véritable début de carrière parisienne ( 1794) pour agir comme ses aînés en exécutant ses propres concertos.
Sur ce séjour à Rouen, toujours de la même source « Le Musée de Bordeaux et la musique », on sait que l’exécution de ses œuvres en public sont plutôt de la musique de chambre, sans orchestre et qu’elles ne sont pas données devant un grand public. A cela il faut aussi ajouter la difficulté de constituer un orchestre en province, surtout dans le contexte qui est encore celui de la Révolution et de la Terreur. «  Le répertoire de chambre s’adapte mieux aux salles de petites tailles. On sait cependant que Rode emprunte 200 chaises pour la salle du Bureau des Finances à Rouen, pour un concert où il joue pour la première fois un quatuor de Haydn. Compromis qui permet d’améliorer efficacement les profits du concert, ( pas de frais d’organisation, pas d’orchestre, pas de répétition, pas de transport d’instrument, etc..).

Ils partent ensuite pour la Hollande, vont à Hambourg, puis en Prusse. Hambourg avait accueilli beaucoup d’émigrés français. « Leur admirable talent, leur bon ton et leur esprit vif et original, étaient appréciés par les Français et les Allemands » écrit Georgette Ducrest dans son ouvrage «  Mémoires sur l’Impératrice Joséphine, ses contemporains, la Cour de Navarre et de la Malmaison ; Paris Mercure de France p38-39). Elle ajoute : qu’ « on les écoutait avec le même plaisir, causer ou faire de la musique ; leur présence suffisait à animer une soirée. Ils contaient de la manière la plus plaisante des histoires qu’ils prétendaient toujours leur être arrivées. Intimement liés ensemble, ils soutenaient mutuellement la vérité du récit, avec un tel sérieux, que l’on finissait par les croire ».
Craignant de se voir considérer comme émigrés, Garat et lui, décident de revenir en France. Embarqués sur un navire, une tempête les emmène vers l’Angleterre. Viotti se trouvant à Londres où il avait émigré, Rode obtient l’autorisation d’aller le voir. Il donne un concert au bénéfice des pauvres mais sa qualité de français nuisit à son succès.
Il gardait un souvenir assez mauvais de ce séjour à Londres en tous cas des Anglais car il écrira plus tard à Baillot qui lui aussi avait tenté de s’installer en Angleterre : «  je suis étonné que tu n’aies pas cherché à t’établir dans ce pays-là. Il est vrai que les violons n’y font pas fortune : il faut y être danseur ou châtré pour réussir »
Il revient en France en 1797. Son talent reste entier et il obtient de grands succès dans les concerts de la rue Feydeau qu’il donne avec Kreutzer. Ces concerts eurent une vogue due, tant à leur excellence qu’à la privation de semblables délassements imposés par le régime de la Terreur, période pendant laquelle, à l’exception des hymnes à l’Etre suprême chantés en plein vent et des airs patriotiques vociférés par les Sans-culottes, la musique s’était vue bannie de France. Malheureusement la banqueroute de Sageret, directeur du théâtre Feydeau, mit fin à ces concerts en 1798. Une nouvelle société se créa deux ans plus tard pour donner des concerts dans une salle, rue de Cléry. C’est là que furent produites pour la première fois à Paris, les symphonies de Haydn.

3/ Le professeur au Conservatoire :

A cette époque Rode est nommé professeur au Conservatoire National de Musique qui venait d’être institué le 16 Thermidor 1795. L’inauguration des locaux du Conservatoire n’eut lieu qu’en 1802. Le ministre Chaptal vint poser la première pierre. Après son discours, il y eut un concert. Kreutzer conduisait l’orchestre. Rode et Baillot exécutèrent un trio avec Frédéric Duvernoy. Garat chanta plusieurs fois. Un banquet suivit, puis la salle de banquet fut transformée en salle de bal.
On lit aussi dans les gazettes du temps que Rode, Lamarre et Garat donnent des concerts à leur bénéfice, dans la salle des Victoires. Cette salle appelée d’abord théâtre Olympique, était située au 46 rue de la Victoire. Elle prit le nom de salle des Victoires le 13 mai 1801. Ce sont ces concerts qui furent, sur ces lieux, à l’origine des Concerts du Conservatoire.
En 1799, Rode fait un assez long séjour en Espagne. En prévision de ce séjour il fait établir un passeport qui nous donne quelques précieuses informations. Le passeport est établi à Bordeaux où Pierre Rode a son domicile et la date de départ prévue pour l'Espagne est le 5 décembre 1798.
Pierre Rode a alors 24 ans, il mesure 1 m, 77; il a les yeux brun, les cheveux châtain foncé, le visage ovale, le nez aquilin et le menton rond. La profession indiquée est : membre du Conservatoire de Musique.

En Espagne, il rencontre Boccherini et il devint son ami. Boccherini écrivit plusieurs instrumentations de ses concertos. Rode compose donc déjà. Il a 25 ans.
Il joue à la cour d’Espagne. Il dédicace son sixième concerto en si bémol à la Reine d'Espagne.
En 1800, Pierre Rode est nommé violon-solo de la musique particulière du 1er Consul. Il joue souvent à la Malmaison. La scène a longtemps été présentée au musée Grévin, mais elle vient de disparaître dans le cadre de la rénovation de ce musée. 
La scène à la Malmaison reconstituée au Musée Grévin
Photo ancienne transmise aimablement par le Musée Grévin 


Avec Baillot et Kreutzer il travaille à la rédaction d’une méthode de violon. C’est déjà Rode compositeur, mais nous verrons plus loin ce qu’il pense de cet aspect de sa carrière.

4/ Le jeune premier :




Rode est jeune ; il a d’autres préoccupations et les tentations de la vie parisienne sont très fortes pour un jeune homme de son âge. C’est Pierre Rode jeune premier. A cette époque, Bonaparte a remporté les succès que l’on sait en Italie. Il a rencontré là-bas une cantatrice dont il a fait sa maîtresse, Giusepina Grassini. Il décide de la faire venir à Paris et charge Berthier de la négociation. Il compte sur elle pour célébrer dans un grand concert ses victoires cisalpines. Ce concert a lieu au cours d’une fête au Champ de Mars, le 14 juillet 1800. Puis il y a la célébration de la victoire de Marengo dans une cérémonie qui a lieu en l’église des Invalides transformée en temple de Mars. La Grassini en est la vedette. La cantatrice devient vite la coqueluche des salons parisiens. Richement dotée, elle est installée rue Chantereine (cette rue était une partie de l’actuelle rue de la Victoire). Elle perçoit des appointements annuels de 36000 francs, (les informations divergent sur cette rémunération. Il faut savoir qu’elle était considérable quel qu’en soit le montant exact). Elle a un congé de quatre mois. Chaque hiver elle a à sa disposition la salle de l’opéra pour un concert à son bénéfice.
Rode, violon-solo de la musique du Premier Consul est associé à ces concerts. et l’inévitable se produit. Il tombe amoureux de la Grassini. Elle a un an de plus que lui. Déjà elle n’est plus la jeune et belle femme que Bonaparte a connu en 96 à Milan et qu’a peint Mme Vigée-Lebrun. " Son corps s’est alourdi, la tête puissante, aux traits vigoureux, aux sourcils charbonnés, aux épais cheveux noirs est encore plus commune. C’est une épaisse commère, que, malgré ses airs d’amoureuse, on laisserait à ses inventions de plats milanais, n’étaient sa voix, son chant, l’admirable instrument qu’elle possède et dont elle joue ". Mais l’auteur du livre Frédéric Masson est plutôt partial et veut mettre en valeur Joséphine face à sa rivale. Ce que ne dit pas Frédéric Masson, c’est qu’en plus elle a gardé un fort accent italien et elle zozote. On peut penser cependant que la Grassini, à 27 ans, a encore quelques armes pour séduire. Toujours est-il que Rode devient amoureux d’elle. Lui il a 26 ans et il n’est pas dépourvu de charme. Denise Prou, dans un article publié par le Souvenir Napoléonien en 1985, nous dit qu’il fait quelque peu songer à Bonaparte jeune. Il prépare un concert avec elle. C’est sa préoccupation majeure. Il écrit à Baillot : " Tu me pardonneras bien si je n’ai pas prodigieusement travaillé à notre méthode, mais le concert de Mme Grassini m’occupe beaucoup ". Il compose aussi ses propres concertos et il dit que cela l’occupe entièrement. C’est précisément sur le 7ème concerto que nous allons entendre qu’il se concentre :" Je travaille comme un malheureux à faire un concerto pour le concert de Mme Grassini. Je n’ai pas un instant à perdre ". Mais voilà. Bonaparte finit par découvrir la chose. Vous avez vu sans doute le film Austerlitz d’Abel Gance. Bonaparte se rendant chez sa maîtresse, monte un escalier, la Grassini chante. On entend un violon. Le Consul entre. La cantatrice est seule. " J’ai cru entendre en montant un violon qui vous accompagnait... " À ce moment-là une porte d’armoire grince et on voit Pierre Rode qui est caché dans l’armoire. Ce fait est historique. Pierre Rode est devenu le rival de l’Empereur. 
Voici comment Fouché le relate dans ses mémoires:" Frappé, à son dernier passage à Milan, de la beauté théâtrale de la cantatrice Grassini, et plus encore des sublimes accents de sa voix, il lui fit de riches présents et voulut se l’attacher. Il chargea Berthier de conclure avec elle un traité sur de larges bases, et de la ramener à Paris ; elle fit le voyage dans la voiture même de Berthier. Assez richement dotée, à quinze mille francs par mois, on la vit briller au théâtre et aux concerts des Tuileries, où sa voix fit merveille. Mais alors le chef de l’Etat évitait tout scandale et, ne voulant donner à Joséphine, jalouse à l’excès, aucun sujet d’ombrage, il ne faisait à la belle cantatrice que des visites brusques et furtives. " Des amours sans soins et sans charmes ne pouvaient satisfaire une femme altière et passionnée, qui avait dans l’esprit quelque chose de viril. La Grassini eut recours à l’antidote infaillible ; elle s’enflamma vivement pour le célèbre violon Rode. Épris lui-même, il ne sut pas garder de mesure ; bravant la surveillance de Junot et de Berthier. Un jour que, dans ces entrefaites, Bonaparte me dit qu’il s’étonnait qu’avec mon habileté reconnue, je ne fisse pas mieux la police, et qu’il y avait des choses que j’ignorai : " Oui, répondis-je, il y a des choses que j’ignorais, mais que je sais maintenant ; par exemple : "un homme d’une petite taille, couvert d’une redingote grise, sort assez souvent par une porte secrète des Tuileries, à la nuit noire, et accompagné d’un seul domestique, il monte dans une voiture borgne, et va furetant la signora Grassini ; ce petit homme, c’est vous, à qui la bizarre cantatrice fait des infidélités en faveur de Rode, le violon. » A ces mots, le Consul, tournant le dos, et gardant le silence, sonna et je me retirai. Un aide-de-camp fut chargé de faire l’eunuque noir, auprès de l’infidèle qui, indignée, refusa de se soumettre au régime du sérail. On la priva d’abord de son traitement et de ses pensions, croyant la réduire ainsi par famine ; mais, éprise de Rode, elle resta inflexible, et rejeta les offres les plus brillantes de Pylade Berthier. On la força de sortir de Paris ; elle se réfugia d’abord à la campagne avec son amant, puis tous les deux s’évadèrent et allèrent retrouver la fortune ailleurs ! 
Ils prennent peur. La Grassini se réfugie à la campagne. Rode l'accompagne. Le 4 Frimaire an X (25 Novembre 1801) bouleversé  par le départ de la Grassini il écrit à Baillot :" J’arrive à l’instant de conduire Mme Grassini à vingt-lieues d’ici. Sa voiture a cassé dix ou douze fois ; elle a eu tous les malheurs imaginables. "" J’ai été tous ces jours-ci, trop préoccupé et j’ai encore trop de chagrin pour avoir le courage d’aller demain au Conservatoire ; d’ici là, j’espère calmer un peu ma tête, car si cela doit durer, je te jure que je serais bien malheureux. "Le 14 Frimaire il écrit encore : " Je joue le 21 au concert de Cléry et ayant fait beaucoup de changement dans le concerto que je compte exécuter, je suis obligé de le copier de nouveau, ce qui me fait te prier de remettre au 9 sans-faute notre rendez-vous. Ne me gronde pas, mon ami, de ce nouveau retard, car aussi bien que toi, l’idée de la sécheresse du travail qu’on nous a donné à faire me donne la colique. " et le 18 Frimaire (9 décembre) il écrit encore : " remettons à une décade nos amusantes séances dont l’approche me donne la fièvre. "
Rode, jeune et amoureux, en pleine possession de tous ses talents, ne veut pas renoncer à sa carrière de virtuose. Il considère que ce n’est pas encore le moment pour lui de se livrer à l’écriture d’une méthode. 
Mais il continue d’écrire des concertos qu’il joue ensuite lui-même. Le 2 Janvier 1802, 12 nivôse An 10, il annonce son brusque départ de Paris : " Tu vas être bien surpris, mon cher Baillot, en apprenant mon départ d’une manière aussi précipitée, mais les circonstances sont tellement impérieuses qu’il n’y a pas à hésiter une minute. Je t’écris ainsi qu’à Sarette (directeur du Conservatoire National de Musique), au moment de monter en voiture, pour éviter de répondre aux questions que vous ne manqueriez ni l’un ni l’autre de me faire et auxquelles il ne m’est pas permis de donner le moindre éclaircissement. Je te renvoye en même temps les trois cahiers que tu m’avais confié. Je ne m’en suis pas du tout occupé, car, depuis quelque temps, mon bon ami, ma tête et mon cœur étaient dans une telle agitation que le courage me manquait lorsqu’il fallait m’atteler à une besogne qui, entre nous, est diablement fastidieuse et m’a toujours causé une répugnance invincible. "" Ce qui dans tout cela me chagrine véritablement, c’est d’être cause que je t’ai fait perdre bien souvent ton temps ; mais je te jure qu’avec la meilleure volonté du monde, toutes les fois que j’ai voulu travailler à cet ouvrage, ces détails minutieux et ennuyeux m’en dégoûtaient aussitôt. "" Il est difficile à notre âge de s’occuper sérieusement d’une chose qui n’intéresse ni nos goûts ni notre talent. C’est quand on n’a plus la tête pleine de projets de toutes les couleurs qu’on renonce à soi pour s’occuper des autres, enfin quand on a rempli sa carrière qu’on peut se hasarder d’entreprendre une besogne comme celle-là. Aussi je t’assure que je suis encore à concevoir comment il t’est possible d’y mettre autant de suite. Quant à moi, je ne me sens ni assez de patience ni assez d’habitude d’un travail sérieux pour me charger désormais de pareille corvée. Mais si jamais le démon de faire une méthode me prend, ce ne sera que lorsque l’âge aura un peu calmé ma tête et que je pourrai me livrer tout entier à une occupation aussi importante et qui exige bien du dévouement. Je vous laisse donc, à toi et à Kreutzer, l’honneur et le profit, car il ne doit me revenir ni gloire ni salaire, n’ayant contribué d’aucune manière à la confection de cette méthode qui est presque de toi seul, excepté le peu d’exemples qu’a fait Kreutzer. Véritablement, mon cher Baillot, je suis honteux de vous avoir tenus si longtemps pour ne rien faire et je crains bien que tu sois fâché contre moi. Cela me ferait d’autant plus de peine que rien n'altérera jamais l’attachement bien tendre que je t’ai voué pour la vie. Je t’embrasse de tout mon coeur. 
En réalité il semble qu’il partit sans la Grassini et que leur liaison s’arrêta là. 
Ce serait un point à éclairer par quelques recherches complémentaires. 
Elle, de son côté, bénéficia des largesses impériales jusqu’en 1814. Il fut même question qu’elle se produisit à l’île d’Elbe, dans un petit théâtre que l’Empereur, avec son maigre budget, avait fait aménager très sommairement, aux Mulini, son " palais " elbois. 
Ce qui est sûr c’est qu’elle se trouvait à Londres au cours des fêtes célébrant la défaite de Napoléon et que sa trahison alla jusqu’à devenir la maîtresse de Wellington. Elle se montra publiquement à l’opéra, dans la grande loge, avec lui.
On trouvera sur ce blog un article consacré à Giusepina Grassini


Pierre Rode donna un concert d’adieu au public parisien le 9 décembre 1802 ainsi que l’atteste le Courrier des Spectacles : " Jeudi prochain, 18 frimaire an XI, le théâtre Louvois donnera un spectacle extraordinaire, dans lequel le citoyen Rode, premier violon de la musique particulière du Premier Consul, étant à la veille de son départ, se fera entendre pour la dernière fois ". Cette soirée n’eut finalement lieu que le 25 frimaire. Voici ce qui a été écrit sur ce concert : " M.Rode, prêt à partir pour Saint Pétersbourg, a fait ses adieux aux amateurs de la capitale par un concert donné au théâtre Louvois. Les applaudissements qu’il a reçus ont dû lui exprimer les regrets que va causer son absence. Il s’est montré sublime dans le premier morceau de son concerto. Son rondeau et ses airs variés ont réuni les suffrages des connaisseurs et des amateurs. L’orchestre conduit par M.Kreutzer a exécuté l’ouverture de l’Hôtellerie portugaise de M.Cherubini. "

Mais ces adieux étant faits, il ne part pas tout de suite. Il était à Paris pour la pose de la première pierre du Conservatoire, en 1802. 
Il tente d'organiser son départ de France et cherche des appuis. Par une lettre du 3 janvier 1802, le Colonel comte de Caraman, François Joseph de Riquet de Caraman  ( plus tard Prince de Chimay, lui-même violoniste distingué), écrit à Natale Mussini :" Mon cher Mussini, Rode, premier violon de la chapelle royale du Premier  Consul, a désiré que je lui donne quelques recommandations pour Berlin. Je ne puis mieux faire que de vous l'adresser, mon cher Maître, vous êtes plus capable que personne d'apprécier son talent. Je vous serai reconnaissant de tout ce que vous voudrez bien faire pour ce jeune homme auquel je m'intéresse tout particulièrement, et vous fais d'avance mes remerciements. Adieu mon cher Ami vous connaissez les sentiments intimes avec lesquels je suis votre dévoué serviteur. Signé Colonel de Caraman"
Natale Mussini (Chanteur, Violoniste, Compositeur, puis Maître de Chapelle de Frédéric Guillaume II - directeur du theâtre italien à Berlin) était venu à Paris au début des années révolutionnaires et faisait partie de ces italiens  qui devaient son nom au théâtre Feydeau, dirigé par Viotti et par Cherubini. Il avait fréquenté ce milieu d'artiste où se trouvait déjà le jeune Rode. Dénoncé comme suspect en 1792, il était parti rapidement pour Londres puis Berlin. Mussini accueillit tout naturellement Rode dans l'appartement qu'il occupait dans la maison Verona, Uner Den Linden. On peut penser que ce fut là le premier contact de Pierre Rode avec celle qui deviendra sa femme à son retour de Russie. Mais Rode était en route vers la Russie où le Tsar Alexandre 1er lui avait promis un engagement très attrayant.
Le 8 Août il écrit de Hanovre et dit lui-même qu’il est passé par Amsterdam puis Osnabrück. Il précise que son voyage d’Osnabrück à Hanovre a duré trente-six heures au travers des déserts et des bruyères. Et là, Lamarre, qui semble-t-il voyageait avec lui, écrit : " il va lâcher son concert le jour de la naissance du Premier Consul ; ses bras vont un peu mieux et il se prépare à partir pour la Russie où il devrait être sans cette fatale incommodité. Il est obligé de prendre les eaux à une demi-lieue d’ici. "C’est en effet dès cette époque que les divers biographes de Rode parlent d’une incommodité qui le gênait pour jouer. Une sorte de douleur au bras. Début de son déclin ? Peut-être !
Le 8 décembre 1802 il est à Memel en Prusse ( au Nord de Königsberg). Il donne un concert devant le Roi de Prusse et plus de six cents auditeurs. La recette est considérable. Mais il n’accepte que cinquante ducats et donne le reste pour le soulagement des pauvres de la ville. 
En Mars 1804 il est enfin en Russie et donne ses premiers concerts dans ce pays. Sa majesté Impériale le Tsar Alexandre le nomme maître de chapelle avec, dit-il lui-même dans une lettre à Baillot, un magnifique traitement. Boieldieu est aussi à Saint Pétersbourg à cette époque. Il reste ainsi cinq ans en Russie. 
A Moscou, pendant le Carême, il donne une série de concerts avec un autre célèbre violoniste de l’époque, Ferdinand Fraenzl. 
A Paris, Kreutzer est nommé premier-violon à la place laissée vacante. Sur les registres du Conservatoire, en regard de son nom figure la mention :« en voyage » j'ai relevé moi-même cette mention sur le registre du personnel. 
Quelques lettres de Rode à Baillot, qui était lui aussi parti pour la Russie et se trouvait à Moscou, nous donnent de ses nouvelles.
Nous savons peu de choses sur le séjour en Russie de Pierre Rode sinon qu’il donne de nombreux concerts et qu’il reçoit du Tsar un « magnifique traitement ».
Pouchkine dans une de ses œuvres cite « le divin Pierre Rode ».

Une seule anecdote nous est connue grâce à une comédienne qui répond au nom de Louise Fusil dans un livre qu’elle a écrit :

« Savez-vous l’histoire qui arriva à Rode pendant son voyage à Kiev où il allait donner des concerts ? Il fut pris par un fort mauvais temps, et obligé de s’arrêter dans un hisbach de paysan, où de loin il avait aperçu de la lumière. Après avoir frappé assez longtemps, une vielle femme aux yeux éraillés, à la figure ridée, véritable portrait d’une souricière de Macbeth, vient entr’ouvrir la porte. Le domestique de Rode lui demande si elle peut donner à coucher à son maître. Elle semble se consulter, elle hésite ; enfin on lui offre dix roubles, somme énorme pour une pauvre paysanne. «  je n’ai que mon lit dit-elle, je le donnerai à ce monsieur, et je coucherai par terre dans l’autre chambre. Vous irez à l’écurie, si vous voulez. »
Les domestiques et les paysans ne sont pas difficiles pour leur coucher ; ils dorment fort bien par terre ou sur une planche.
Rode tombait de fatigue. Son domestique mit la voiture et le cheval dans un hangar et fut se coucher. Son maître se jeta tout habillé sur ce lit qui était très bas. A moitié endormi, il étend le bras, comme pour chercher quelque chose, et saisit une main glacée. La frayeur le réveille en sursaut, et, oubliant fatigue et sommeil, il saute à bas du lit, et, découvrant un corps mort ( sous le lit) il se croit dans un coupe-gorge. Il appelle à grands cris et en jurant comme un possédé : la vieille accourt plus morte que vive. « Misérable ! s’écrit-il il y a sous ce lit un homme assassiné ! – Hélas ! monsieur, pardonnez-moi ; c’est mon mari. Il est mort ce matin, et, pour gagner les dix roubles, je vous ai donné son lit et je l’ai fourré dessous. « 
Vous devez penser que Rode s’empressa de quitter le toit hospitalier de cette épouse inconsolable et que, malgré le mauvais temps, il se remit en route. » ( Souvenirs d’une actrice par Mme Louise Fusil Paris, Dumont 1841 2eme volume. )

En 1806 il a des soucis de santé et de fréquents accès de fièvre. C’est à ce moment-là que sa mère meurt à Paris. Comme à cette même période un ukase concernant les français est pris par l’autorité, il décide de rentrer au pays. Mais il va encore prendre les eaux, pour se soigner. Sa santé est, dit-il chancelante. Le 28 Octobre il écrit une lettre intéressante qui décrit bien dans quel état d’esprit il se trouve et sa conception de la vie. Il parle de Cherubini qui est malade et se lamente sur le sort de la femme de ce dernier et de leurs enfants:

" Quel exemple pour nous, mon cher ami ! Ne nous marions pas, si tu m’en crois, à moins de rencontrer quelque princesse, quelque duchesse ou pour le moins une marquise ; sans cela pas de mariage qui me tente. J’oubliais de te dire que si la princesse, la duchesse ou la marquise n’avait pas le sou, je n’en voudrais pas plus que de Margot. Voilà, j’espère, de la bonne philosophie. "

Il prend enfin la route de Paris en 1808. Le 22 Juillet il donne un concert à Varsovie. Le 22 décembre 1808 à Paris, il donne un concert à l’Odéon. L’affluence des amateurs est considérable. Mais leur attente ne fut pas remplie. Ce n’était plus l’éclat et la verve qui avaient produit tant d’effets aux concerts de Mme Grassini et on trouva son tout dernier concerto, le numéro 10, marqué par le " froid de Russie ". Rode, blessé de ne pas obtenir les mêmes applaudissements que quelques années auparavant, renonça alors à jouer en public.

 " Puisque c’est ainsi, je ne me produirai plus à Paris ". 

Il ne fit plus de la musique qu’avec ses amis Baillot et Kreutzer, qu’il avait retrouvés. Le Prince de Chimay", les recevait dans son hôtel de la rue de Babylone, et tous quatre, accompagnés au piano par Auber, jouaient pour leur plaisir et pour un cercle d’amis très restreint. Rode, à cette période se fait recevoir à la société des Enfants d'Apollon, sorte d’Académie libre des Beaux-Arts. Il habite alors 24 rue du sentier, dans un appartement aménagé dans un hôtel qu’avait habité, en particulier, Monsieur Le Normant d’Etioles après sa séparation d’avec la Pompadour. Il ne reprit pas son poste de professeur au Conservatoire, et s’ennuyant, ne trouvant de public à sa dimension, il repartit pour un nouveau grand voyage à travers l’Europe.

Il visite Vienne pendant l'hiver 1812-1813 lors d'une tournée de concerts, offrant ainsi à Beethoven l'occasion de renouer, après une interruption de dix ans, avec le genre de la sonate pour violon et avec l’école française.  
Beethoven était vraisemblablement en contact avec Rode dès l'époque de la composition, puisqu'il fit savoir à l'archiduc Rodolphe en décembre 1812 qu'il «devait écrire en réfléchissant plus au jeu de Rode; nous avons volontiers des passages plus bruyants dans nos finales, mais Rode n'était pas d'accord». La dernière sonate pour violon de Beethoven, à la fois classique et introvertie, forme un contraste absolu avec la dramatique «Sonate à Kreutzer». 

Le premier mouvement s'ouvre sur un petit motif que violon et piano se renvoient comme par jeu, puis se développe à la manière d'une conversation intime entre deux âmes en profonde harmonie. Le magnifique Adagio espressivo présente lui aussi un caractère presque improvisé. Il est suivi d'un bref scherzo, puis d'un finale à variations comprenant un passage fugato typique de la dernière manière de Beethoven.
Peu de temps avant que l’œuvre soit donnée en public, Beethoven écrivait à l’archiduc Rodolphe «  Je n’ai pas mis trop de fougue dans le dernier mouvement par simple soucis de ponctualité mais surtout, en l’écrivant je dus considérer la manière de jouer de Rode. dans nos finales, nous aimons les passages rapides et résonnants, mais cela ne plait pas à Rode et me freine en quelque sorte » En conséquence la finale de la sonate fut un ensemble de sept variations suivies d’une courte coda basée sur un thème joyeux.
La création ne fut pas un succès - on critiqua en particulier le jeu de Rode -, mais la sonate fut accueillie d'emblée comme un chef-d'œuvre. Le commentaire qui parut à l'époque semble d'ailleurs une réplique tardive aux sévères critiques qu'avaient reçues les premières sonates: «Sans être livrés aux brûlants rayons du soleil, sans affronter orage et tempête, sans devoir combattre des géants ou tuer des dragons, nous marchons paisiblement le long d'un chemin dépourvu d'épines.»
Cette sonate n°10,  fut donnée une première fois le 28 décembre 1812 au cours d’une soirée privée chez le Prince Lobkowitz et l’Archiduc lui-même était au piano. Puis elle fut donnée dans un second concert à Vienne  au Palais Lobkowitz le 7 janvier 1813. 
Lorsque qu’elle fut publiée en 1816 elle comportait bien une dédicace mais à l’Archiduc !
Pourtant, les critiques s’accordent  pour dire que c’est justement l’absence de traits trop brillants et sa grâce classique, consenties au style si personnel de Rode qui lui valurent les louanges de la critique.
Cette sonate n°10 est décrite comme la plus charmante des sonates pour violon de Beethoven, dotée d’une beauté extrêmement calme et délicate, et constituant en ce sens un test pour les interprètes car tout doit être joué à la perfection et ce dès le tout premier trille introduisant la pièce. Ce fameux trille initial, semble-t- il caractéristique du jeu de Rode, est une part intégrale du sujet disent les spécialistes. Selon une tradition elle devrait toujours être conclue sur un tournant. Cependant plusieurs interprètes préfèrent ne pas la conclure ainsi.

Ainsi Rode n’eut pas comme son ami et rival Kreutzer « sa » sonate !
Ami et rival et il était en effet de bon ton, dans la bonne société de prendre parti pour l’un ou l’autre de ces deux virtuoses.
Mais Rode reste unique comme l’écrit Gerber, dans son dictionnaire des Musiciens en 1813 : «  Si Kreutzer seul peut lui être comparé, Rode ne peut être comparé qu’à lui-même »

"Les auteurs de différents dictionnaires disent aussi que Beethoven écrivit pour lui l’admirable romance en fa pour violon et orchestre. Je n’ai pu trouver à ce jour aucune confirmation de cela.

5/ le bon père de famille :





En 1814 il se fixe à Berlin où il se marie avec Caroline Sophie Wilhelmine Verona, fille du peintre Verona, peintre à la cour du Roi de Prusse. 





C’est une jeune veuve qui a vingt-trois ans. Rode en a quarante. Il n’aspire plus qu’à la vie de famille. Une fille, Nathalie nait en 1814 et un fils Edmond notre arrière-grand-père, en 1816. Il commence un vie de bon père de famille." Tu m’as donné, écrit-il à Baillot, un exemple que j’ai suivi à la grande satisfaction de mon cœur et qui me rend bien heureux. Je savoure tellement mon nouvel état que, depuis deux ans et quelques mois de mariage, je vis dans la retraite la plus absolue. Tout entier au bonheur de mon intérieur, aux caresses de mes deux petits enfants que j’idolâtre, les frivolités du monde n’ont plus aucun attrait pour moi. Puisse cette existence, monotone pour certaines gens, durer le reste de ma vie, je n’en ambitionne pas d’autre ! Mais je voudrais revoir mes amis et respirer l’air natal, chose qu’il faut malheureusement que j’ajourne, ma fille et mon petit n’étant pas d’âge à supporter les fatigues de ce voyage. Je t’avoue, mon cher ami, qu’après une si longue absence, il me paraîtra doux de me retrouver chez moi, car tu le sais, un français n’est jamais chez lui en pays étranger et encore moins aujourd’hui qu’autrefois. "Il parle ensuite de ses relations avec la famille Mendelssohn. " le petit bonhomme était à l’école, de sorte que je n’ai pas pu juger de ses heureuses dispositions sur lesquelles tout le monde s’accorde. " et dans une autre lettre : " Félix possède un sentiment si naturel et si rare que je le crois destiné à aller fort loin si on ne le distrait pas d’une vocation qui se manifeste chez lui de la manière la plus évidente. Ce jeune enfant joue tout, les compositions les plus sérieuses comme les plus élégantes, et cela dans la couleur qui lui est propre. "

Le séjour à Berlin mériterait un long développement car il vivait dans un environnement d’artistes tous logés dans l’immense immeuble que possédait son beau-père Verona allée des Tilleuls, immeuble dont il tira, grâce à son épouse un bon parti financier. 
Nous avons tous les détails de la vente de ces biens au moment du retour vers la France  et ce passage du séjour à Berlin sera complété prochainement.


Maison Verona à Berlin 17/18 Allée des Tilleuls
C’est quand il était à Berlin qu’il fait éditer plusieurs de ses œuvres et notamment ses 24 Caprices en forme d’études qu’il dédie au Prince de Chimay. Mais il ne joue plus que pour son plaisir. Il ne se produisit que deux fois en six ans, pour des concerts donnés au bénéfice des pauvres de la colonie française de cette ville. 

En 1820 Rode rentre en France, avec sa femme, ses enfants et sa belle-mère, Mme Verona. Il fait un court séjour à Paris et part pour Bordeaux. Sa préoccupation est avant tout l’éducation de son fils et la publication de quelques-unes de ses œuvres. Il essaie d’acheter une propriété dans le voisinage de son ami le maire de Bordeaux M.David Johnston. 
En 1828 il revient à Paris pour s’occuper de l’éducation de son fils Edmond. Il voulut profiter de ce voyage pour se faire entendre. Ce fut d’abord une fête pour ses anciens admirateurs, mais bientôt ce fut avec effroi qu’ils virent se compromettre un si beau nom et un talent si réel. L’intonation si pure et si belle était devenue douteuse ; l’archet était timide, comme les doigts ; l’élan, la fougue, la sûreté même de l’expérience qui remplace l’audace de la jeunesse, tout avait disparu. Pleins de respect pour une grande renommée les artistes applaudirent, mais une affreuse lueur vint éclairer son esprit et il comprit qu’il n’était plus le même. Il s’éloigna de Paris et cet échec devint la pensée de ses jours. A ses nerfs durement éprouvés s’ajouta le chagrin causé à sa femme par le décès de sa mère et la prochaine séparation d’avec son fils. Il perdit la sérénité d’âme dont il avait joui jusqu’alors. Il voyait tout en noir.
Il habitait alors avec son épouse le domaine de Bourbon, près de Damazan, à l’embouchure du Lot. En était-il propriétaire ? La fiche de l’inventaire des Monuments Historiques l’affirme mais l'acte de décès dit le contraire et confirme que son ami David Johnston Maire de Bordeaux en était propriétaire . 


Château de Bourbon


Ce qui est sûr c'est qu'au moment de sa mort il avait acheté le château de Cugnos, aux portes de Marmande, appelé "Mon repos", une belle bâtisse attribuée à Louis. 
Il est également sûr qu'il n'avait pas fini de payer cette propriété au moment de sa mort et qu'il n'y a jamais habité. 
De très importants travaux ont été entrepris plus tard par Madame Rode, qui a investi là des sommes considérables et ces travaux semblent avoir dénaturé l'ensemble des lieux. 


Château de Cugnols  " Mon repos " 
Château de Cugnols à Saint-Pardoux-du-Breuil (47)

Catégorie : Château

aire d'étude : Marmande

lieu-dit : Mon Repos

parties constituantes : écurie ; étang ; fontaine ; parc ; logement de domestiques ; parties agricoles ; fabrique de jardin ; château d'eau ; chapelle ; moulin ; pigeonnier ; fossé

époque de construction : 17e siècle (détruit) ; 2e quart 19e siècle (?)

auteur(s) : maître d'oeuvre inconnu

historique : Seigneurie citée depuis 1353, château appartenant à la famille Massiot depuis au moins 1586. Il contenait : un moulin, un pigeonnier, un étang, des fossés, un parc, des parties agricoles et une chapelle construite entre 1605 et 1630, restaurée vers 1673. Château entièrement reconstruit vers 1830 pour le musicien bordelais Rode, contenant : une fontaine, des logements de domestiques, un étang, des écuries, des parties agricoles, des fabriques de jardin, un château d' eau et un parc

gros-oeuvre : calcaire ; pierre de taille ; moellon ; enduit partiel ; brique

couverture (matériau) : tuile creuse ; tuile mécanique ; zinc en couverture

plan : plan régulier

étages : 1 étage carré ; étage en surcroît

couverture (type) : toit à longs pans ; croupe ; pignon couvert ; toit polygonal

propriété privée

date protection MH : édifice non protégé MH

type d'étude : inventaire topographique

date d'enquête : 1983

rédacteur(s) : Araguas Philippe ; Schiltz Olivier

N° notice : IA00025931

© Inventaire général, 1983

Dossier consultable : service régional de l'inventaire Aquitaine

54, Rue Magendie 33074 BORDEAUX Cedex - 05.57.95.02.02


Pierre Rode avait entrepris d’y faire effectuer de gros travaux avant d’aller s’y installer.  Sa femme fit d’ailleurs poursuivre ces travaux après sa mort au  point de dénaturer  le site et surtout d’y investir des sommes considérables. 
Dans le testament olographe qu’il fit à cette époque, il recommande à sa femme de finir de payer l’achat de ce château.
Ce qui est sûr c’est qu’il vécut ses derniers jours au château de Bourbon et non dans le château de Mon Repos où il n'a jamais habité. 
C’est au château de Bourbon qu’on lui présente le jeune Charles Dancla qui devait devenir plus tard professeur au Conservatoire. Il tente de le recommander à Baillot. Mais il annonce dans sa lettre du 24 Novembre 1829 qu’il vient de subir une attaque : " Je ne t’écris que quatre lignes...parce que je suis invalide et qu’il m’en coûte de tenir la plume. J’ai été frappé au bras droit; les armes me sont tombées des mains et je ne peux plus conduire ni l’archet ni la plume ". Et en Janvier 1830 il fait écrire une lettre sous sa dictée. Le mal a empiré... Bien vite il tomba dans une sorte de torpeur dont il ne sortait que rarement pour de terribles colères. 
C’est dans ce château de Bourbon, à Damazan qu’il s’éteignit dans les bras de sa femme le 26 Novembre 1830 dans sa cinquante septième année, comme en atteste l’acte de décès :
Extrait des registres de l’Etat Civil de la Commune de Nicole.

 « L'an mil huit cent trente, et le vingt-cinq novembre à quatre heures et demie, après-midi, par devant nous, maire, officier public de l’Etat-Civil de la commune de Nicole, canton du Port-Sainte-Marie, arrondissement d’Agen, département de Lot-et-Garonne, sont comparus sieur Baptiste Mazat, chargé d’affaires de .David Johnston à Lafon-Bourbon, âgé de quarante-sept ans, domicilié de cette commune, premier témoin, non parent, Pierre Descomps, vigneron chez M.Johnston, à Bourbon, âgé de trente-deux ans, second témoin, non parent, domicilié de cette commune, et Jean Leyrisson, métayer à Bourbon, âgé de soixante-cinq ans, troisième témoin, non parent, domicilié de cette commune, lesquels nous ont déclaré que M. Jacques-Pierre-Joseph Rode, propriétaire, âgé de cinquante-sept ans, né à Bordeaux, département de la Gironde, de feus Pierre-Joseph Rode, décédé à Bordeaux, le cinq mai mil sept cent quatre-vingt-dix , et de Suzanne Turmeau, décédée à Paris, le vingt-huit octobre mil huit cent sept, époux de Caroline-Sophie Wilhelmine Rode, née Vérona, à Berlin en Prusse, est décédé ce jour vingt-cinq novembre à une heure et demie après-midi, dans le château de Bourbon, appartenant à M.David Johnston, sis dans cette commune, où il habitait avec son épouse et sa demoiselle, depuis deux ans. Les trois témoins ont signé avec nous après leur avoir donné lecture du présent acte.
« Ont signé au registre : Baptiste Mazat, Pierre Descomps, Jean Leyrisson et Gasquet, maire, officier public »
Pour copie conforme, délivré à Nicole le 21 août 1883

Publié dans La Revue de l’Agenais, - Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts d’Agen 



Le 5 décembre, Madame Rode écrit ; «  C’est le 13 novembre après s’être senti quelque temps beaucoup mieux que Rode a été frappé d’une attaque qui le priva de la parole, de la connaissance et de l’usage du bras droit. Aucun remède n’a opéré, et son existence n’a plus été qu’une longue agonie. Dieu a mis fin à ses souffrances le 25 novembre 1830 à une heure et demie de l’après-midi. Sa dépouille mortelle a été transportée dans un tombeau de famille qu’il avait fait ériger lui-même à peu près trois ans auparavant. »
Ses obsèques eurent lieu à Bordeaux avant l’inhumation au Cimetière de la Chartreuse, après une cérémonie religieuse célébrée en l’église Saint Louis. Le cortège partit du pavé des Chartrons, de l’appartement du maire de Bordeaux où son corps avait été transporté. Il se composait du corps de musique de la 1ère légion de la Garde Nationale, de nombreux musiciens et amis.
On sait même qui étaient les porteurs du drap mortuaire qu’on appelait le poêle, un grand drap noir avec des larmes brodées en argent qu’il était coutume de porter devant le cercueil des défunts. Vous devez vous souvenir d’avoir vu cela dans les obsèques autrefois ou quand vous étiez, si vous étiez... enfant de chœur. Il y avait aux quatre coins de ce drap des glands et on était quatre ou huit à tenir le drap par ces glands. David Johnston était un des quatre porteurs.


Tombeau de la famille Rode au Cimetière des Chartreux de Bordeaux.
Photo JM

Par suite d’un oubli qu’on ne peut expliquer, Pierre Rode, chevalier de la Légion d’Honneur, n’a point reçu les honneurs militaires auxquels il avait droit.
Après le décès de Rodolphe Kreutzer le 6 Janvier 1831, Baillot écrit : " Combien est-il pénible pour nous d’ajouter aux noms des grands artistes qui ne sont plus, ceux de nos deux collègues Rode et Kreutzer, descendus presque en même temps dans la tombe ! Pourquoi faut-il déjà pleurer la perte de ces honorables amis et regretter si tôt de ne les entendre plus ? L’un, dont le jeu plein de charme, de pureté, d’élégance, rendait si bien les qualités aimables de son esprit et de son cœur ; l’autre, dont le caractère franc l’imagination ardente se retraçaient dans la chaleur et la hardiesse de son exécution... "

Que nous reste-t-il de Pierre Rode aujourd’hui ? Une nombreuse descendance et son souvenir qui revient à la surface par ses œuvres qu’on redécouvre et qui ont été gravées tout récemment. Par ses études surtout, qui font souffrir les élèves des conservatoires. Son  tombeau au cimetière de la Chartreuse est désormais est désormais classé en vertu du caractère historique qu’il représente.
Son portrait est toujours dans la famille. Il existe quelques portraits peints dont celui exposé au Grand Théâtre de Bordeaux, 




son buste en imposte ou médaillon au-dessus d’une porte du Foyer, et quelques portraits gravés. 





Médaillon "Pierre Rode" au foyer du Grand Théâtre de Bordeaux
En 1864-1865  Burguet au moment des grands travaux de restauration du Grand Théâtre, transforme complètement
la "salle de réunions et de banquets" pour qu'elle redevienne une salle de concerts.
Pour cette pièce d'apparat, nommée à tort "Grand Foyer"  Bougeureau exécute les peintures du plafond par une oeuvre imposante de forme ovale. Il exécute également dix-huit écoinçons et quatorze médaillons offrant au public de précieux portrait de musiciens, dont Pierre Rode. qui est donc là en compagnie de Mozart, Grétry, Boïeldieu, Rossini, Halévy, Meyrbeer et Beethoven .
Cette salle a été restaurée récemment et baptisée "salle Gérard Boireau" du nom d'un des plus célébres directeurs du grand Théâtre. 

Une rue de  Bordeaux, en plein quartier des Chartrons, entre la rue Sainte Thérèse et le Cours Portal actuels porte son nom.








Cette étude pourrait être complétée par un chapitre « Rode Compositeur » mais cela  demande une connaissance musicale que je n’ai pas. On sait que Paganini faisait grand cas de la musique de Rode et qu’il jouait ses concertos notamment le septième en la mineur et le premier  en ré mineur.

Pierre Rode est aujourd’hui surtout connu des élèves des cours de violon des conservatoires. Plusieurs de ses œuvres ont été gravées récemment sur CD et un Stradivarius porte son nom «  le Pierre Rode ». Longtemps propriété du violoniste Oscar Shumsky, qui a gravé les caprices de Rode, joués sur ce célèbre violon, ce bel instrument est aujourd’hui joué par le virtuose Ryu Goto.



Jean Mignot

cet article a servi de base pour un article publié en Décembre 2012 dans la Revue du Souvenir Napoléonien

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